Les débuts d'un empire
Avant de mourir (le 3 avril 1896, à Saint-Mandé), Émilie Pathé demande à ses fils de s’associer à leur frère Charles. Le partage des biens se fait à l’étude de Maître Emile Robillard, notaire à Montreuil-sous-Bois. Les 3 frères apportent chacun un petit capital de 8 000 francs et Charles met dans l’affaire ses Photozootropes en cours de fabrication, un appareil de prise de vues et un laboratoire. Le 9 juin un brevet est déposé par les frères Pathé (N°257.067) pour un « mécanisme à périodes de marche et d’arrêt applicable aux appareils photographiques projecteurs et à tous autres appareils ». Ils se lancent dans la fabrication de films en reproduisant des bandes Edison. Un litige avec un client nommé Girod (ou Giraud d’après les écrits de Charles Pathé) qui n’avait pas reçu sa commande de films dans le délai prévu (6 semaines de retard), met fin à la collaboration de Théophile et Jacques Pathé. Le client réclame, au titre de dommages-intérêts, la somme de 20 000 francs. Seul Émile reste avec son frère Charles, il rachète les parts de ses frères et vend son commerce de vin pour se consacrer à plein temps aux activités lancées par son frère Charles.
Le 30 septembre 1896, naît la société Pathé Frères au capital de 40 000 francs et dont le siège est au 98 de la rue de Richelieu à Paris. Société en nom collectif ayant pour objet « la fabrication et la vente d’appareils électriques, notamment de Fluoroscopes et de Kinétographes (Etc…) ainsi que l’exploitation de tous brevets relatifs à ce genre de fabrication« . Les ateliers se trouvent à Vincennes, avenue du Polygone, au numéro 1, dans les dépendances d’un café-restaurant tenu par Amélie Ernestine veuve Hervillard, ce bâtiment fait partie de l’héritage d’Émile, laissé par son père. Les deux frères Pathé soumettent une sévère concurrence aux frères Werner qui fermeront boutique rapidement, absorbés par Pathé en octobre 1898. Émile est en charge des Phonographes, vendus aux forains avec succès, il développe aussi rapidement le Graphophone, destiné à une clientèle de particuliers. Ils choisissent comme symbole de la marque Pathé, le coq gaulois, par opposition à l’aigle américain d’Edison.
Claude Grivolas - Inventeur, Financier & Industriel (1855 - 1938)
Claude Grivolas naît en 1855 dans une famille d’artisans et d’artistes*. Il a cinq ans lorsque son père acquiert l’ancienne orangerie de la puissante famille de Galéans des Issarts**, il y installe en 1860 une petite « filerie de cocons ». Mais en 1868, la maladie du ver à soie*** ruine l’entreprise familiale. Claude Grivolas doit quitter le pensionnat des Frères des Ecoles Chrétiennes pour travailler. Il suit alors les cours du soir municipaux. Employé dans un atelier photographique, puis dans une maison de tissus en gros, à 16 ans il entre aux archives départementales. Il y restera 7 ans. Il poursuit ses études d’électricité et de photographie. Il forme le vœu de participer à l’évolution des sciences et techniques.
Il a vingt-trois ans lorsqu’il se marie, son voyage de noce le conduit à Paris et plus particulièrement à l’Exposition universelle. Il rencontre Gramme, inventeur de la dynamo, et Louis Breguet, fabricant d’horlogerie et d’appareils de précision. Ce dernier vient d’obtenir pour la France la concession des téléphones Bell. Il commande à Grivolas l’implantation de quatre installations téléphoniques entre le bureau du préfet du Vaucluse et ses services.
Après ces premiers succès, Claude Grivolas reçoit une médaille de bronze à l’Exposition universelle d’Electricité en 1881 pour l’invention du « télécinémomètre », un appareil qui indique à distance le niveau d’un fleuve ou d’un lac.
En 1882, il fonde la première maison d’Appareillage Électrique Grivolas. Il déposera plus de cinquante brevets (notamment celui de la douille à baïonnette) qui lui permettra de supplanter l’appareillage électrique d’Edison à Paris.
En 1889, il fournira tout l’appareillage électrique de l’Exposition Universelle. Il y rencontrera Gustave Eiffel qui deviendra son ami.
* La famille Grivolas est liée au Félibrige, école littéraire constituée en Provence au milieu du XIXème afin de restituer au provençal son rang de langue littéraire (Mistral, Aubanel, Roumanille…)
** Charles-Hyacinthe, marquis de, ambassadeur en 1752.
*** Pébrine.
Une nouvelle passion : le cinématographe
Après trois années passées à l’électrification de la ville de Cannes, il rentre à Paris en 1895 et découvre le Kinétoscope d’Edison, puis le cinématographe. Entre 1896 et 1901, Claude Grivolas déposera au moins trois brevets portant sur le cinéma (appareils de prise de vue, de projection). Parallèlement à ses inventions techniques, il réfléchit à l’évolution du cinématographe en tant qu’industrie. Ainsi, il propose aux frères Lumière, à Lyon, une association pour « faire du cinéma une industrie ayant pour objet la création de pièces théâtrales. » L’offre est rejetée.On lui conseille de s’adresser aux frères Pathé.
L’incendie du Bazar de la charité
Le 3 mai 1897, l’incendie du Bazar de la Charité va avoir des répercussions terribles sur la jeune Société Pathé Frères. L’incendie fait 140 morts dont beaucoup de personnalités qui étaient venues assister à une représentation du cinématographe des frères Lumière. Les financeurs du cinématographe vont être réticents à investir dans cette nouvelle invention après le drame du 3 mai.
Une rencontre d’intérêt, la création de La Compagnie Générale de Cinématographes, Phonographes et Pellicules. Claude Grivolas s’intéresse de près au cinématographe et il rencontre Charles Pathé à Vincennes.
Le besoin de capitaux pour poursuivre les activités de la branche cinématographique de la société Pathé Frères pour les uns, l’envie de travailler et d’investir dans le développement cinématographique pour Claude Grivolas favorisera une rencontre d’intérêts mutuels. Les relations resteront complexes entre les nouveaux partenaires. Claude Grivolas apparait certes comme celui qui va permettre en 1897 la création d’une société anonyme conséquente (La Compagnie Générale de Cinématographes, Phonographes et Pellicules) mais aussi celui qui éclipsera le pouvoir des frères Pathé. » Rien ne pouvait être plus précis. Mon frère et moi nous n’étions plus propriétaires, c’est certain. Nous cédions la place à un groupe* ». Les frères Pathé deviennent directeurs pour Emile de la branche phonographique, pour Charles de la branche cinématographique. Il n’en demeure pas moins vrai que les deux frères perdent leur pouvoir de décision, ils ne siègent pas au Conseil d’Administration, au profit d’industriels stéphanois regroupés autour de Claude Grivolas. Pour Claude Grivolas, les frères Pathé apparaissent comme des hommes qui s’intéressent plus au profit qu’à la technique, n’étant ni l’un ni l’autre des inventeurs, ni même des ingénieurs.
Dès 1898, les premières usines sont construites à Chatou, ville où réside Claude Grivolas et où il y a développé des activités de construction mécanique**.
* In Charles Pathé, Ecrits autobiographiques, coll. Les temps de l’image, Ed. L’Harmattan, Paris, 2006.
** L’activité phonographique se déroulera sur près d’un siècle de 1898 à 1992, date de la fermeture de l’usine Pathé Marconi EMI à Chatou. Après une joute politique et un combat associatif et politique, les usines seront arasées fin 2004.
Au début des années 1900, Claude Grivolas démissionnera de son poste d’ingénieur-conseil à la tête de la Compagnie Générale après avoir été le personnage clé de son existence et développement. Cette mise à l’écart au profit d’un autre ingénieur : Continsouza et de l’entrée au Conseil d’Administration d’un proche des frères Pathé, G. Lelièvre, isolera un peu plus Claude Grivolas. Tout en poursuivant ses activités comme Président ou Administrateur délégué de différents Conseils d’Administration : Appareillage électrique Grivolas, Compagnie générale de Glace Hygiénique, Compagnie des Eaux Minérales de Saint Nectaire, Claude Grivolas reste partie prenante de la société Pathé dans la branche cinématographique, dirigée par Charles Pathé. Il en démissionnera en 1929, après le contrôle de la société par Natan. Pendant les dernières années de sa vie Claude Grivolas traverse des difficultés : affaire Natan et Stavisky ; une dégradation de sa santé, principalement de ses facultés mémorielles. Il meurt en 1938 dans l’indifférence.
Jean-Luc Rigaud